« Anie. » Hmm. La jeune fille aux beaux cheveux châtains bouclés assise au pied de la table basse redressa légèrement la tête, bien qu'elle fut captivée par le magazine qu'elle était entrain de feuilleter. Le visage de sa sœur était tendu, inquiet, méprisant, triste. Ses propres traits trahissaient le stress que sa décontraction feinte ne parvenait pas à masquer totalement. « Anja, pourquoi ? » s'écrièrent désespérément les yeux de la brune qui se tenait face à elle. Le cœur d'Anie manqua un battement. Elle avait été idiote de croire qu'elle pouvait cacher quelque chose à sa sœur. Bien qu'elle eut tout fait pour réprimer son envie de hurler au cours de ces trois dernières semaines, une larme naquit au creux de son œil, traîtresse, vicieuse. « Je suis désolée, Thilde. Je suis tellement désolée... » Sa voix heurtée de sanglots qui ne tarderaient pas à suivre ne suffit pourtant pas à attendrir la jeune femme. Au contraire, son visage se durcit, et son regard était fixé sur Anja, une lueur de pitié dans les prunelles. « Je ne sais pas, je ne sais plus ! Je ne me rappelle pas... » C'était, à vrai dire, ce qui la terrifiait la plus. Elle avait calculé qu'elle devait être enceinte depuis à peu près un mois. Un long mois. Suffisamment longtemps pour qu'elle parvienne à oublier le soir où elle s'était retrouvée allongée dans la rue, sans sac, sans portable et sans souvenir de ce qu'elle avait fait, où et avec qui, les trois heures précédentes. Si ses parents, oh, si ses parents savaient... Comme si elle avait lut dans ses pensées, Thilde lui lança froidement : « Et papa et maman ? » Elle n'exposa pas le fond de sa pensée, cependant. C'était inutile. Elle savait. Elles savaient. Machinalement, Anja leva les doigts jusqu'au pendentif en forme de croix qu'elle portait, et se mit à le tripoter nerveusement. Toute sa famille avait toujours été on ne peut plus croyante. Même si par miracle, ses parents ne succombaient pas d'une crise cardiaque lorsque, trahie par son ventre rond, elle devrait leur avouer la vérité, ils refuseraient catégoriquement qu'elle mette un terme à cette grossesse. Elle-même avait été éduquée trop strictement que pour penser ne serait-ce une seule seconde à leur mentir. Tout comme elle était trop religieuse que pour avorter - c'était contre tous ses principes.
« Thilde, qu'est-ce que je vais faire ? Je n'ai que quinze ans... »
D'un revers de manche, elle essuya ses joues trempées et renifla. Un instant, elle resta immobile, avant d'éclater à nouveau en sanglots. Anéantie, elle se traîna jusqu'à sa sœur, et enfouit son visage dans ses genoux. Thilde lui caressa doucement les cheveux - on aurait put la croire pleine de sollicitude si ses gestes n'avaient pas été emprunts de tant de dureté. Anja était sa petite sœur, elle l'aimait, certes, mais elle avait faillit. De longues minutes passèrent, le silence uniquement ponctué de sanglots étouffés. Lorsque Thilde sentit que les épaules de sa petite sœur ne tressautaient presque plus, elle la prit par le bras, lui redressa le menton. « Je vais t'aider, Anie, ne t'inquiète pas. Je suis là. » Elle se pencha, et déposa un baiser sur son front, telle une promesse.


La fille lisait tranquillement, assis sur son lit. Comme souvent. Presque tout le temps, en réalité. Elle avait beau être là depuis longtemps - et avoir donc sympathisé avec presque tous les autres orphelins -, elle avait beau être extravertie, elle aimait se retrouver seule avec elle-même. Doucement, trop petits coups se firent entendre de l'autre côté de la porte. En relevant, elle aperçut une employée entre deux âges au visage bienveillant, qu'elle avait toujours apprécié, et qui l'avait toujours apprécié. Miss Drógendóttir. Elle lui sourit et, comme si c'était là le signal qu'elle attendait pour bouger, elle s'approcha. Manifestement, elle avait quelque chose de serré entre ses doigts. « Bonjour, Astrid. On peut discuter un instant ? » Elle acquiesça en refermant son livre et se recula vers le mur pour lui laisser de la place sur le matelas. Lentement, elle se laissa tomber à ses pieds et la couva du regard. Dès qu'elle était arrivé - elle avait à peine quelques semaines - elle avait tout de suite été captivée par ses beaux yeux, pareil à deux mystères. Longuement, elle l'observa, se questionnant toujours sur le bienfondé de ce qu'elle allait faire. « Bien sûr. Qu'est-ce qui se passe ? » De sa main libre, elle attrapa l'une de celles de la jeune fille et y déposa l'objet qu'elle serrait. Étonnée, elle avança son nouveau bien vers son visage. Une petite croix en argent était accrochée à une longue chaîne. Quelle ironie. Elle haussa les sourcils, perplexe. « Je sais que tu ne t'intéresses pas à ce qu'ont put devenir tes parents biologiques, Astrid, mais j'ai fais une promesse que je me dois de tenir, aujourd'hui. » Son regard fiché dans celui de la femme, elle attendit. « Ce pendentif appartenait à ta mère. Elle me l'a laissé en même temps qu'elle t'a déposé ici. Elle avait quinze ans à l'époque, et pas grand chose à t'offrir de plus. Elle voulait que je te transmette ce présent, le jour où tu serais assez grande pour comprendre qu'elle n'avait pas le choix... » À son expression, Astrid aurait presque put croire qu'elle défendait cette femme qui l'avait abandonnée à peine née - elle tenta de se persuader du contraire, pourtant. En réalité, le cynisme de la chose l'empêchait d'en vouloir à Miss Drógendóttir. Tout ce que sa chère mère trouvait à lui refiler, à elle, l'athée, à elle, qui avait toujours refusé l'existence d'une quelconque entité supérieure, c'était le signe de sa bonne foi. Elle faillit éclater de rire. C'était tellement con. « C'est gentil de votre part, Miss, mais je ne veux pas de se collier. Il représente tout ce que je ne suis pas. » Appuyant ses dires, elle tendit le bijou vers elle, l'incitant à le reprendre. « Gardez-le. » Elle laissa tomber le pendentif dans la main ouverte de l'employée et, presque aussitôt, se replongea dans son roman, sans rien ajouter.
La discussion était close.
Tout comme le chapitre.
Enfin, elle était libre.